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Bonjour à tous et bienvenue pour une nouvelle émission de Monde de Nerd.
Aujourd'hui, on va parler d'un sujet brûlant : qu'est-ce qu'une œuvre culte ? C'est un truc qu'on entend tout le temps : "œuvre culte", "série culte", "film culte", "jeu culte", "moto culte". Une expression qu'on a tous utilisé ou entendu et qui ne manque pas d'apparaître dans les médias ou les slogans marketing : « la série culte de toute une génération enfin en DVD ».
Si vous tapez "film culte" ou "série culte" sur Google, vous allez trouver beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de séries cultes et de films cultes, de toutes génération, ce qui veut peut-être dire que le mot "culte" est galvaudé.
On sait que certains gros succès sont cultes comme Star Wars, tandis que d'autres sont des réussites populaires sans être cultes comme "Bienvenue chez les chtis". Mais on ne saurait pas forcément dire pourquoi certains sont cultes et d'autres pas.
Si vous consultez la liste des films associés au terme "culte" sur Wikipédia, vous aurez une assez bonne idée de ce flou. On y trouve d'énormes succès au box-office (300, SOS fantômes), des oeuvres artistiquement en pointe à leur époque (El topo, Fitzcarraldo) et des nanars ignorés du grand public (The BeastMaster, Turkish Star Wars).
Ces oeuvres ont su attirer un certain type de public, ont souvent d'importantes communautés de fans qui les révèrent, mais ça ne donne pas une définition transversale de ce qu'est une œuvre culte.
Alors, qu'est-ce qu'on peut faire avec tout ce chaos ?
La première approche est celle d'Umberto Eco, essayiste, écrivain, romancier, traducteur, professeur d'université, sémiologue... Dans un article publié en 1984, non traduit en français et intitulé Casablanca: cult movies and intertextual collage, il s'attaque à la définition de ce qu'est un film culte.
Dans cet article, il expose une théorie tout à fait intéressante à partir de l'analyse du film Casablanca, film culte s'il en est, de Michael Curtiz, sorti en 1947. Il constate que ce film n'est pas le plus gros succès de son année de sortie, ni le mieux écrit, réalisé ou joué. Pourtant, peu de films de cette époque sont autant regardés de nos jours. Il y a donc autre chose dans le film culte.
Pour Eco, pour qu'un film soit culte, il faut retrouver un certain nombre d'éléments stylistiques. En particulier, il faut que l'œuvre en question déborde d'intertextualité. Ce concept, au nom un peu jargonnant, a été inventé par la chercheuse Julia Kristeva dans les années 60 et désigne les liens d'un texte avec d'autres textes. Autrement dit, ce sont toutes les références, les citations, les allusions, les reprises, les hommages, voire les plagiats au sein d'une œuvre.
D'après Eco, ce fourmillement de référence qui déborde de l'oeuvre permet à ceux qui la regardent d'y trouver toujours de nouvelles choses à explorer, de nouveaux éléments qui s'ajoutent à la compréhension. Ça permet aux fans qui s'approprient l'oeuvre d'accumuler à son propos un savoir, fait de plein de petites informations qu'ils vont pouvoir partager.
Cet aspect intertextuel fait de l'oeuvre culte une forme de synthèse générique, c'est-à-dire qu'en rendant hommage à un genre, un type d'œuvre ou un répertoire culturel, elle va incarner tout un univers culturel auquel les gens vont pouvoir s'identifier.
On constate souvent que les oeuvres les plus cultes d'un genre sont les oeuvres qui arrivent assez tardivement plutôt que celles qui inventent ce genre. Par exemple, les films de Tarantino sont construits en hommage et citent tout un tas d'œuvres obscures : des films de Kung Fu japonais des années 70 totalement oubliés, des séries Z du cinéma gore italien des années 80, etc...
En synthétisant ces goûts et en s'appuyant sur une esthétique de la citation, Tarantino connaît plus de succès que les œuvres originales, et ses films font l'objet d'un énorme culte (pour Tarantino, on ne peut pas dire le contraire).
Eco ajoute que les oeuvres cultes forment un monde autonome, immense, dense, explorable et qui ne peut être maîtrisé que par un petit nombre de personnes, qui se sentent ainsi appartenir à une communauté privilégiée, ceux qui savent, ceux qui ont exploré assez l'univers.
Cette communauté, c'est celle des fans qui va toujours de pair avec une oeuvre culte et qui fait vivre ce culte.
Avec tout ça, monde détaillé et autonome + références foisonnantes + synthèse d'un genre ou d'une époque, on aurait du coup la recette parfaite pour faire un film culte. En tout cas, intuitivement, cette définition semble pertinente et logique :
Donc, en effet, la définition de Eco semble très bien marcher. Sauf que non.
En fait, la théorie d'Umberto Eco marche bien, mais uniquement vue de loin. Du point de vue d'un sociologue des médias, elle a 2 gros défauts qui sont liés entre eux.
Le premier défaut, c'est que les fans semblent toujours découler de l'oeuvre. Il suffirait de remplir les critères, de suivre la recette d'une œuvre culte, pour qu'une communauté de fans émerge directement de l'oeuvre. Toutes les pratiques des fans qui ont contribué à rendre un film culte sont occultées.
Prenez par exemple le Rocky Horror Picture Show, un film sorti en 1975. C'est l'archétype du midnight movie et du film culte, mais son succès est venu très lentement du fait de l'appropriation de l'oeuvre par un petit groupe. Cela montre que ce n'est pas l'oeuvre qui a fait le culte, mais le culte qui a fait l'œuvre.
Ça nous amène au 2e défaut : cette théorie regarde l'histoire faite par les vainqueurs. Certes les films cultes vérifient les critères, mais il ne faut pas oublier de regarder tous les autres films. Quand on regarde tous les films sortis à la même époque qu'un film culte, on constate que plein d'entres eux rentrent dans les critères mais ne sont pourtant pas devenus cultes.
Cela montre donc qu'une autre chose se passe et qu'un contexte social influe sur son statut d'oeuvre culte.
En sociologie, on s'est plutôt concentré sur l'idée de trouver une définition d'une oeuvre culte qui ne passerait pas par le contenu de l'objet culturel. C'est en particulier le cas d'un chercheur français, Philippe le Guern, dans l'ouvrage Les cultes médiatiques.
Il affirme qu'il n'y a pas d'œuvres cultes, mais seulement le culte des œuvres et donne un certain nombre de critères de définition, non pas du point de vue de l'oeuvre, mais du point de vue du public et de ce qu'il fait avec l'oeuvre pour construire le culte. Il dégage 4 critères pour définir une œuvre culte d'un point de vue sociologique :
Bien sûr, cette définition ne donne pas de recette magique pour faire une oeuvre culte, mais elle décrit beaucoup mieux comment se construit un culte et en quoi il est lié à l'appropriation d'une œuvre par un groupe qui la fait sien.
Cette définition met aussi beaucoup mieux en avant la dynamique centrale de la pop culture : le fait que ça nous parle, que ça nous aide à vivre, que ça nous aide à nous construire en tant qu'individu ou groupe.
Évidemment, cette définition n'empêche pas de pouvoir retrouver dans les œuvres les critères énoncés par Eco, mais elle nous permet plutôt d'observer ce que font les gens avec l'œuvre !
Maintenant, c'est à vous de choisir votre définition favorite ou de trouver la vôtre. N'hésitez pas à vous abonner pour être alerté des prochains épisodes et on se dit à bientôt pour une nouvelle émission. A plus !
Texte écrit par Lucas Willems
PostModem
Humour, sociologie, culture geek, à travers des commentaires audio de films cultes ou de la vulgarisation de sociologie à forte tendance geek.