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La torture : une vision fantasmée du Moyen Âge


Publié
October 12, 2020

Un classique de la vision fantasmée du Moyen Âge, toujours très putaclick : la torture. Ou comment raconter n’importe quoi sur l’histoire médiévale ! Petit article rapide pour voir comment circule un cliché... et remettre les pendules à l’heure ! ⬇️

Depuis au moins 2016, un article circule beaucoup en ligne, de blog en blog, de Facebook à Twitter. Le chapeau change, le contenu quasiment pas... Petit florilège en images :

On a donc un article bourré d’erreurs et d’approximations mais qui se reproduit en quelque sorte de lui-même, et qui va occuper les premiers résultats quand on cherche des infos sur « la torture au Moyen Âge » (et donc polluer le net...)

Or évidemment tout est faux dans cet article. On peut ainsi relever 4 grosses erreurs.

1ère erreur. L’article attribue « au Moyen Âge » des pratiques qui sont en réalité plus tardives.

C'est le cas pour le « ducking-stool », une sorte de tabouret servant à immerger les femmes (image-ci dessous), dont la première mention dans une source date en fait du début du XVIIe siècle.

De même, la répression de la prostitution, qui va parfois jusqu’à son interdiction, est caractéristique du XVIe siècle, dans un climat de Contre-Réforme (Ordonnance d’Orléans, 1561). Ici le poids du contexte chronologique est déterminant... !

L’article ne contextualise pas non plus géographiquement : en réalité ces pratiques n’ont pas forcément été utilisées partout. Ainsi ce « joug à mégères » se trouve surtout dans les pays allemands alors que la « brive-bavarde » apparaît en Écosse à la fin du XVIe siècle.

Dès lors cet article contribue à imposer l’image « d’un Moyen Âge » uniformément violent, alors que les médiévistes s’échinent à rappeler la grande diversité de la période, au fil des siècles et entre les royaumes (voire même à l'intérieur de chaque royaume !)

2ème erreur. L’article confond « torture », c'est-à-dire usage de la violence et de la souffrance à des fins judiciaires, notamment pour obtenir des aveux, et « punition », c'est-à-dire châtiment ordonné par l'autorité : le bûcher, par exemple, n’est pas une torture, mais une punition.

Idem pour le pilori, ou pour la marche de la honte. Il ne s’agit pas ce faisant de « torturer » qui que ce soit, mais de punir via l’humiliation, ce qui fait sens dans des sociétés d’honneur.

Idem encore pour l’ablation du nez ou des oreilles : bien attestée au Moyen Âge à côté de diverses formes de mutilation, ce ne sont pas des tortures au sens strict bien que ce soit violent... Voir notre article Quand la justice coûtait un bras.

3ème erreur. L’article présente ces pratiques comme des formes « barbares » de justice, en se moquant du Moyen Âge. Or, les études récentes sur la torture montrent qu’il s’agit d’une pratique judiciaire strictement encadrée et pas d'une violence gratuite ou aveugle.

C’est par exemple l’objet du livre La torture au Moyen Âge de Faustine Harang, qui souligne que la torture est non seulement peu utilisée, mais surtout très normée : on ne torture pas n’importe comment, et les juges surveillent attentivement le processus.

Et qu'on ne vienne pas dire "oui mais la recherche actuelle est difficilement accessible...". En l'occurrence, autour de cet excellent livre :

Bref, l'information vraie est là, facilement accessible, sous plusieurs formes (texte, audio, vidéo). Il suffit de vouloir la trouver.

4ème erreur. Sans aucun doute pour renforcer le côté putaclick, ces articles parlent de « tortures infligées spécialement aux femmes ». Derrière l’indignation surjouée, on peut se demander s'ils ne jouent pas ici surtout une forme de torture-porn bien malsaine.

Or c’est une erreur car la plupart de ces pratiques sont couramment utilisées pour les deux sexes. Des hommes peuvent être condamnés au bûcher par exemple (au hasard, les Templiers, ou Jan Hus !), mais aussi à des mutilations corporelles ou à la marche de la honte (cf image)

Bref, il ne s'agit en aucun cas de "tortures qui n'étaient infligées qu'aux femmes". Cette erreur est particulièrement grave. D’abord parce qu’elle contribue à diffuser l’image d’un Moyen Âge misogyne, alors que la réalité est beaucoup plus complexe.

Ces articles permettent également une essentialisation du type « de tout temps la femme a été maltraitée », qui elle-même permet une lecture téléologique de l’histoire : « avant c’était affreux, aujourd'hui c’est vachement mieux ! »

Lecture qui est non seulement anhistorique (donc fausse), mais qui en plus conduit à sous-estimer le caractère systémique des violences dont sont encore aujourd’hui victimes les femmes.

Dans ces clichés sur la torture, repris de sites en sites avec une paresse intellectuelle stupéfiante, se nouent ainsi deux grands fantasmes (un Moyen Âge violent / un Moyen Âge misogyne), totalement opposés à l'actualité de la recherche en histoire médiévale.

Et, en creux, se pose la question : comment peut-on faire en tant que médiévistes pour corriger ces erreurs visiblement si tenaces ? En tout cas, un grand bravo à ÇA DOIT SE SAVOIR qui nous a bloqué dès qu'on a commencé à faire ce thread... 😉



Ceci est l'archive de mon thread Twitter, faite par l'archiveur de threads de Share.


Actuel Moyen Âge

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