Bienvenue sur Share !
Découvrez

les contenus partagés

Abonnez-vous

aux sources qui vous intéressent

Partagez

vos propres contenus

En utilisant les services de Miple, vous acceptez nos Règles de confidentialité.

Voulez-vous mourir ?


Monsieur Phi
Publié
May 3, 2020



Puisque nous allons tous mourir, à quoi bon penser à la mort ? Pascal écrivait :

« Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser. »

Étant impuissant face aux maux qui l'affligent, l'Homme va à la chasse ou regarde des vidéos YouTube pour se divertir (au sens de "faire diversion" / "s'empêcher d'y penser"). C'est ce que Pascal appelle le divertissement.

Mais l'Homme est-il véritablement impuissant face aux maux qui l'affligent et à la mort en particulier ? Il semble que non. D'ailleurs, l'Homme agit déjà pour éviter de mourir. Mais fait-il tout ce qui est en sa possession pour éviter de mourrir ?

Agissons-nous pour ne pas mourir ?

Il semble que nous agissions pour ne pas mourrir. Si mon cœur arrête de battre, des gens essaieront de le relancer. Si le sang ne circule plus dans mon cerveau, on fera ce qu'on peut pour remettre la machine en route.

Nous sommes globalement très motivés et bien organisés pour combattre des causes directes de mort, mais aussi les causes indirectes. Par exemple, nous n'avons pas peur de dire "fumer tue".

On pourrait donc s'attendre à trouver le même sérieux vis-à-vis de tout phénomène qui augmente considérablement les chances de mourrir. Ce n'est pourtant pas le cas.

Il y a un phénomène d'importance qui, bizarrement, échappe à cet esprit de sérieux, un phénomène biologique bien connu : la sénescence.

La sénescence

La sénescence, c'est le mot chic pour parler de vieillissement au sens biologique. Ce phénomène, de lente dégradation des fonctions de l'organisme, touche l'Homme et presque tous les êtres vivants (mais pas tous : pas le rat-taupe nu, image ci-dessous).

Chez l'Homme, la sénescence augmente considérablement presque toutes les principales causes de décès aujourd'hui (maladie cardiaque, respiratoire, cancer, AVC...). En d'autres termes, vieillir tue. Et vieillir tue beaucoup plus que fumer.

Par conséquent, si notre priorité médicale est de rester aussi longtemps que possible en bonne santé et reculer autant que possible la mort, alors maîtriser le phénomène du vieillissement semble être aujourd'hui LE problème à résoudre.

Pourtant, très peu de recherches sont faites sur ce problème à l'heure actuelle... Bizarre, non ?

Pourquoi ne cherche-t-on pas à empêcher le vieillissement ?

Pour essayer de répondre à cette question, faisons une expérience de pensée.

Expérience de pensée

Imaginez que l'être humain ne soit pas sujet au vieillissement mais qu'il soit, comme c'est le cas aujourd'hui, sujet aux maladies et qu'il cherche à les soigner.

Maintenant, imaginez qu'un jour, une nouvelle maladie apparaisse. Ses premiers symptômes sont discrets : perte de cheveux, apparition de rides, affaiblissement général. Puis, la maladie progresse inexorablement et produit en quelques décennies une lente et irrémédiable dégradation de tout l'organisme le rendant vulnérable à toute sorte d'infections qui finissent immanquablement par causer la mort. De plus, cette maladie ne touche pas quelques cas isolés : elle s'étend très rapidement et, bientôt, tous les êtres humains en sont atteints. On finit par appeler cette maladie la sénescence.

Croyez-vous que les êtres humains, les chercheurs et les médecins ignoreraient cette nouvelle maladie devenue la plus mortelle de toutes ? Non, l'humanité mettrait en oeuvre des moyens sans précédent pour l'éradiquer. Alors pourquoi l'humanité ne met pas tout en oeuvre aujourd'hui pour empêcher le vieillissement ?

Parce que le vieillissement ne peut être empêché ? Tout comme les maladies, le vieillissement est un phénomène biologique. Si il est possible d'éradiquer les maladies, il devrait être aussi possible d'empêcher le vieillissement. D'ailleurs, des pistes très prometteuses commencent à être explorées (c.f. l'excellente vidéo How to Cure Aging? de Kurzgesagt).

Pourtant, malgré ces pistes prometteuses et le fait que le vieillissement est la première cause de décès, très peu de moyens sont alloués à la recherche sur ce sujet. A titre de comparaison, la Life Extension Advocacy Foundation (l'organisation ayant récolté le plus d'argent pour la recherche sur l'extension de la vie) a récolté 300.000$ dans le monde de 2015 à 2018 alors que le Téléthon récolte, chaque année, 100.000.000€ en France seulement.

Comment expliquer ce bien plus faible intérêt pour empêcher le vieillissement ?

Une vie fondamentalement différente

La sénescence n'est pas une maladie comme les autres.

Si nous découvrons un traitement miracle contre tous les cancers, cela augmentera notre espérance de vie, mais ne changera rien au fait que nous serons tous morts d'ici 200 ans. Nous vivrons mieux sans cancer, mais pas différemment, nous resterons fondamentalement les mêmes.

Par contre, empêcher le vieillissement, c'est se donner les moyens de faire reculer la mort peut-être indéfiniment. Mourir sera toujours possible mais ce ne sera plus nécessaire. Tout le calendrier des temps futurs sera virtuellement à notre portée.

Vivre sans vieillir, c'est vivre fondamentalement différemment. Cela change radicalement notre rapport à la mort et notre nature humaine, ou en tout cas à l'idée que nous nous sommes faits de cette nature. Un changement si radical est très difficile à penser : cela peut être enthousiasmant, mais cela peut aussi décontenancer, voire effrayer.

Conclusion

Il est aujourd'hui envisageable plus que jamais de lutter contre la sénescence. Les premiers résultats sont même déjà là, mais ce sont surtout des souris qui en profitent. La question est alors : faut-il nous mettre enfin à considérer le vieillissement comme une maladie ?

Si oui, alors le soutien apporté à de telles recherches devrait être à la mesure de la pandémie absolue qu'elles affrontent. Cette maladie atteint tout le monde et aucune n'est plus meurtrière. Notre soutien devrait être immense, monumental, sans précédent.

Si non, quels arguments pourraient bien justifier qu'il faille continuer de vieillir et mourir comme nous l'avons toujours fait ?



Texte écrit par Lucas Willems


Monsieur Phi

Docteur en philosophie, ce qui ne soigne pas grand chose.