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L'art contemporain ne ressemble à rien ?


Publié
May 3, 2020



Salut à tous ! Aujourd'hui, j'aimerais revenir avec vous sur une remarque que j'entends souvent au sujet de l'art contemporain, à savoir que "ça ne ressemble à rien". Pas "c'est moche" ou "j'aime pas", ce qui correspondrait à un jugement de goût, mais "ça ressemble à rien" et donc certainement pas à de l'art.

J'aimerais revenir avec vous sur les origines de cette remarque afin qu'on essaie de comprendre pourquoi certaines personnes estiment, à juste titre peut-être, que l'art contemporain "ça ne ressemble à rien".

Des critères à la beauté ?

Peut-être que si certains estiment que l'art contemporain ne ressemble à rien, c'est qu'il ne correspond pas à ce qu'ils estiment être les critères de l'art. En gros, l'art contemporain serait en contradiction avec une certaine convention esthétique.

Je vous vois venir avec vos "on ne peut pas déterminer ce qui est beau en art, c'est chacun ses goûts". Que nenni ! Entre le 17e et le 19e siècle en France, on avait bien des critères pour déterminer la beauté et donc la valeur d'une œuvre d'art.

On appelle cet ensemble de critères la convention académique, puisqu'il a été mis au point par l'Académie royale de peinture et de sculpture :

  1. Les seuls sujets dignes d'être représentées sont les thèmes classiques et chrétiens. Donc la fête d'anniversaire de tata Suzanne n'aurait pas pu faire l'objet d'un tableau.
  2. Les formes peintes, pour être parfaites, doivent être tirées de la nature, parce qu'on ne trouvera jamais de meilleure source d'inspiration de toute façon.
  3. La représentation de la figure humaine se limite à des postures nobles et à des gestes expressifs empruntés au classicisme et à la haute renaissance, parce que, excusez moi, mais c'est pousser le bouchon un peu loin que de vouloir inventer de nouvelles poses quand même.
  4. La composition picturale se doit de préserver l'équilibre, l'harmonie et l'unité classique, parce que, au cas où vous ne l'auriez pas compris, on ne fera jamais mieux que les classiques.

Cette convention esthétique académique n'a pas été mise en place dans le souci de plaire au plus grand nombre, mais plutôt d'aider au déchiffrement, souvent savant, des tableaux de très grandes dimensions.

La plupart du public, lui, ce qu'il veut, ce sont des scènes mélodramatiques ou militaires, des femmes dénudées et des trompe-l'oeil, parce que ça fait joli dans les salons.

Ainsi, les artistes, comme David, vont peindre de grands tableaux, qui respectent ces normes académiques, pour répondre aux commandes de l'état et se faire un nom, mais vont surtout faire des portraits de famille et des jolis paysages pour gagner leur vie.

L'objet-tableau

Le problème, c'est que l'académie va finir par se casser la gueule, pour des raisons internes (sur lesquelles je ne vais pas revenir ici), mais aussi pour des raisons externes, et parmi celles-ci, l'invention de la photographie.

La photo est le médium idéal dans les genres du paysage et du portrait. Or, ces deux genres sont les gagne-pain des artistes. Mais comment lutter quand la photographie réalise en un rien de temps une image parfaitement réaliste, une reproduction pure et véridique de ce qu'on a sous les yeux.

La peinture doit donc se trouver une raison d'exister en mettant en place une stratégie de différenciation. Cette raison, c'est ce qu'on appelle l'objet-tableau.

L'art se doit d'être novateur, de proposer quelque chose que la photographie ne peut pas représenter, en étant notamment une fenêtre qui ouvre non plus sur le réalisme mais sur l'imagination de l'artiste. Le rôle de ce dernier n'est alors plus d'être un artisan ou un savant, mais un créateur pour qui l'art devient une fin en soi.

Ainsi, on passe d'une période où c'est l'institution, l'académie, qui détermine ce qui est de bon goût, à une période où c'est le marché qui décide.

À partir de ce moment-là, il n'y a plus de critères précisément établis : tout peut être considéré comme de l'art et tout peut être une œuvre de "qualité". Enfin, c'est un petit peu plus compliqué que ça parce que, même si l'académie a disparu, toutes les conventions esthétiques n'ont pas disparu avec elle.

La convention d'originalité

À vrai dire, on assiste à l'avènement d'une nouvelle convention, que j'appelle la convention d'originalité. À présent que l'œuvre d'art a une valeur en tant qu'objet, les copies, elles, n'ont plus la moindre valeur.

Cela n'a pas toujours été le cas. Pendant très longtemps, les copies d'une œuvre d'art se vendaient très bien. Par exemple, le tableau "Femme Fellah" du peintre Charles Landelle avait été acheté 5.000 francs en son temps et les copies vendues entre 800 et 10.000 francs.

Mais ça, c'est fini : le tableau n'est plus désiré pour l'image qu'il reproduit, mais parce qu'il est fait par la main de tel artiste et parce qu'il est original.

Dans ce nouveau système, l'artiste doit réussir à se différencier de la photographie et des autres artistes en insistant sur l'originalité de son travail. 3 éléments sont alors à mettre en avant :

  1. la non-reproductibilité du processus de création,
  2. la nouveauté,
  3. l'authenticité de l'œuvre.

En gros, une œuvre a autant de valeur qu'elle est rare, authentique, et innovente. Et c'est sur cette notion d'innovation que j'aimerais qu'on s'attarde un peu.

L'innovation

Comme l'art n'a plus de contrainte, de représentation et de ressemblance, l'innovation devient son moteur central. Georges Braque, l'un des pionniers du cubisme, résume ça ainsi :

« Le peintre pense désormais en formes et en couleurs. Son but n'est plus de reconstituer un fait anecdotique, mais de constituer un fait pictural. »

Autrement dit, l'artiste cherche sans cesse à apporter quelque chose de nouveau à l'art, notamment à l'art qui l'a précédé. Ainsi, l'histoire de l'art devient un critère indispensable pour juger de la qualité d'une œuvre, parce que, sinon, comment savoir si un artiste innove si on ignore ce qui a été fait avant lui ?

On commence à mettre le doigt sur le cœur du "problème". Ce n'est pas tant que "l'art contemporain ne ressemble à rien", c'est qu'il veut ne ressembler à rien de ce qui a été fait avant lui. Les artistes sont tenus à systématiquement innover par cette norme tacite qu'est la convention d'originalité.

Cela pose deux problèmes évidents :

  1. On ne peut pas sans cesse proposer quelque chose de nouveau. Ça fait d'ailleurs un bail que d'autres formes d'art, comme la littérature ou la musique, l'ont compris.
  2. L'art contemporain est rendu inaccessible à qui ne connaît pas l'histoire des arts, devenu un référent indispensable.

Pour vous donner un exemple de l'inaccessibilité, je me souviens d'une exposition sur Jeff Koons, pas spécialement mal fichue, mais qui m'avait agacée, parce que les explications proposées étaient incompréhensibles et truffées de références que, même moi, avec mon master en art contemporain, je ne connaissais pas.

Exceptions à la convention d'originalité

Pour finir sur une note un peu plus positive, sachez que tout le marché de l'art n'est pas soumis à la convention d'originalité. Il existe par exemple un marché dit de l'art décoratif qui ne fonctionne pas ainsi (mais il n'est pas forcément mieux ou moins bien).

Sur le marché de l'art décoratif, on estime la qualité d'une œuvre en fonction de son aspect décoratif, mais aussi en fonction des matériaux utilisés et du temps passé par l'artiste.

Remise en question

Sachez aussi qu'un certain nombre d'acteurs du marché de l'art, et qu'un certain nombre d'artistes, remettent en cause la convention d'originalité ou refusent de s'y soumettre. On peut donc espérer voir des changements dans l'art contemporain dans le futur, du moins, je l'espère.

Quelle que soit votre opinion sur l'art contemporain, si je peux me permettre de vous recommander une seule chose, c'est de garder l'esprit ouvert parce qu'il y a de tout :

  • des choses auxquelles on ne comprend rien ou qu'on n'apprécie pas :
  • à celles qu'on trouve esthétiquement les plus saisissantes :
  • en passant par ces artistes qui s'approprient la pop culture, justement pour son caractère moins élitiste :

Personnellement, je pense que la convention d'originalité est une impasse. Mais au moins, elle aura permis aux artistes d'explorer dans tous les sens, pour le meilleur comme pour le pire.



Texte écrit par Lucas Willems


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