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On va parler de Raoult, encore. J'en ai marre, et ça me désole, mais là, j'ai juste pas le choix, franchement. Hier, j'ai découvert le discours de Raoult sur l'histoire des sciences, via cette vidéo YouTube, et aujourd'hui, je viens de lire la tribune qu'il vient de sortir dans Le Monde. Je suis choqué.
Je suppose que je peux au moins remercier Raoult de m'avoir fait découvrir Paul Feyerabend, un philosophe et historien des sciences dont j'ignorais tout jusque là. Évidemment, je n'ai pas lu tout Feyerabend depuis hier, donc si je dis des bêtises, faites-le remarquer.
Si je ne m'abuse, sa position est un prolongement, que je qualifierais personnellement d'extrémiste, des idées de Thomas Kuhn, qui sont bien plus largement partagées et discutées encore aujourd'hui en histoire des sciences.
Kuhn posait l'incommensurabilité des paradigmes scientifiques, c'est-à-dire l'impossibilité de les départager avec la rationalité. Selon lui, ce seraient plutôt des mécanismes sociaux qui pousseraient les chercheurs à changer de paradigme.
Feyerabend va plus loin : il affirme que poser la rationalité comme intrinsèquement supérieure au reste pour produire des connaissances est également illusoire. Il remet fortement en cause la supériorité de toute méthode scientifique sur n'importe quoi d'autre.
Pour lui, la science produit des connaissances (et n'est donc pas à éliminer), mais le reste aussi. Et il n'y a pas de raison valable de "préférer" la science à la religion ou n'importe quoi d'autre pour produire des connaissances.
Retour sur Raoult. Celui-ci voit le discours de Feyerabend comme une magnifique occasion de taper sur les méthodologistes. Ces gens qui affirment qu'un essai randomisé et contrôlé (ERC) est meilleur qu'un essai qui ne l'est pas. Aux yeux de Raoult, penser cela est illusoire.
Et dans une autre vidéo de l'IHU de Marseille, on peut voir un exemple d'argumentation défendable : un ERC sur 16 patients n'est pas forcément plus fiable qu'un essai non randomisé sur 317 patients. La randomisation n'est qu'un paramètre parmi d'autres. Certes.
Et il est même possible que comme montré dans la vidéo, la présence ou non du tampon "randomisé et contrôlé" ait une influence trop grande sur la renommée d'un essai, par rapport à d'autres critères qui peuvent être imparfaits même dans du randomisé contrôlé. On peut en discuter.
Mais ça, les méthodologistes le savent normalement très bien (c'est leur métier, en fait). Ça ne change rien au fait que, toutes choses égales par ailleurs, un essai randomisé et contrôlé est meilleur qu'un autre qui ne le serait pas. Il est meilleur car la procédure qu'on ajoute permet d'éliminer des biais.
L'analyse en intention de traiter (ITT) élimine le biais d'attrition, c'est-à-dire la disparition de plus de patients d'un groupe que d'un autre d'ici à la fin de l'étude. Ce qui aboutirait typiquement à une sous-évaluation des effets secondaires d'un traitement, en ignorant les gens qui ont arrêtés le traitement à cause desdits effets secondaires. Le fait de les placer "hors-étude" les invisibiliserait. J'ai déjà vu ça quelque part :
La randomisation élimine les biais de sélection, c'est-à-dire tout ce qui pourrait faire qu'un groupe est plus jeune, ou plus fumeur, ou plus masculin (par exemple) que l'autre, et pourrait fausser les résultats.
Enfin, le double aveugle élimine le biais de suivi ou de réalisation (toutes les différences de suivi entre patients traités et non traités) et le biais de subjectivité (biais du scientifique au moment de l'analyse des résultats). Mais bref, toutes ces procédures ont un intérêt.
Voir Raoult dénoncer les "réflexions purement mathématiques" dues à "l'envahissement des méthodologistes", ça me fait très, très mal. Car on a là carrément une remise en cause, comme avec Feyerabend, ni plus ni moins que du bien-fondé de la méthode scientifique.
Raoult cite deux exemples de ce que sont pour lui les problèmes éthiques de ces méthodes. L'essai de non-infériorité, et les maladies très mortelles (en particulier Ebola, mais difficile de ne pas faire le lien avec son étude sur le Covid-19).
Faire un essai de non-infériorité en randomisé et contrôlé, ça voudrait dire faire prendre au malade un médicament peut-être aussi bon, on ne sait pas, qu'un autre qui existe. Un risque qui ne serait rien d'autre qu'une stupidité du point de vue du malade, en somme.
Et de la même manière, utiliser des groupes contrôles sur une maladie aussi mortelle qu'Ebola serait non-éthique, puisque cela reviendrait à hypothéquer les chances de survie de ces malades non soignés par rapport à ceux qui bénéficieraient du test.
Ces deux situations peuvent sembler convaincantes, mais sont en fait malhonnêtes. Pour l'essai de non-infériorité, il est intéressant si le nouveau médicament, à défaut d'être plus efficace, apporte d'autres choses ! Meilleure tolérance, plus grande facilité d'utilisation...
Quand à la situation avec une maladie très mortelle… Ou pas, en fait, non ? Parce que je ne vois pas bien en quoi la situation décrite par Raoult deviendrait morale dans le cadre d'une maladie non mortelle. Choisir de ne pas soigner plutôt que de soigner...
Mais Raoult oublie juste allègrement ce qui est pourtant le prérequis obligatoire d'un essai randomisé contrôlé : il n'est éthiquement acceptable que si les connaissances actuelles ne permettent pas de dégager quelle stratégie thérapeutique est la meilleure (équipoise clinique).
Et dans ce contexte, même dans le cas d'Ebola, l'essai est éthique. Si le patient l'accepte, il peut essayer un traitement qui peut lui augmenter ou diminuer (on ne sait pas encore) ses chances de guérison par rapport à son absence. Le groupe contrôle n'est pas lésé.
J'en profite pour signaler que cette simple précision anéantit l'argument pourtant répété en boucle par Raoult du "test du parachute". On sait aujourd'hui avec une certitude assez élevée que sauter sans parachute est plus dangereux qu'avec, donc un ERC est évidemment non éthique.
En résumé, Raoult utilise des très mauvais arguments pour défendre une position extrêmement anti-scientifique. Et cette phrase me terrifie, au vu de l'impact médiatique du bonhomme.
J'ajoute 2 sources qui m'ont été bien utiles, même si tout ça est trouvable assez facilement avec une petite recherche Google (comme quoi Raoult n'a pas cherché bien loin 😥) :
Et évidemment, encore une fois, je m'y connais en science, mais ne suis pas spécialiste en médecine, donc si à un moment ou à un autre je dis des bêtises, faites-le moi remarquer.
Merci !
Humain Curieux
Doctorant en méca flu et acoustique, ingénieur en aéronautique. Mais comme j'ai horreur des arguments d'autorité, veuillez ne pas en tenir compte.