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Lorsque je me retapais l'intégrale d'un dessin animé de mon enfance, j'ai été surpris par la justesse des quelques explications sur le nucléaire. Je vais utiliser cet exemple pour illustrer quelques concepts de sûreté nucléaire.
Je veux décortiquer la vulgarisation du nucléaire faite dans l'épisode 2 de Code Lyoko.
Si vous ne connaissez pas Code Lyoko, c'est une série de mon enfance, donc je serai forcément partial dessus.
L'épisode commence par une présentation d'une centrale nucléaire.
L'ingénieur en chef de la centrale explique qu'on utilise l'énergie fournie par un réacteur nucléaire qui produit une puissance de l'ordre du millier de MW. C'est tout à fait vrai. Les centrales françaises produisent entre 900 et 1450 MW, on est dans les clous.
Premier schéma avec la tour de refroidissement et la turbine. On peut voir les éléments suivants :
On peut aussi voir le circuit primaire, en jaune avec le réacteur. Pour simplifier, on va assumer que tous les systèmes de sûreté sont en jaune, sur le côté gauche de l'image. Ne vous en faites pas, je détaillerai les systèmes de sûreté après.
L'ingénieur en chef (voir image ci-dessous) est particulièrement concerné par les questions de sécurité. Pour satisfaire à cette exigence, le dispositif de sûreté s'applique à différents niveaux : à la conception, à l'exploitation et pendant les phases problématiques.
Selon l'ingénieur en chef, "La combinaison des parades ainsi élaborées est appelée la défense en profondeur."
Ce que je trouve super, c'est qu'en 20 secondes, les bases sont dites avec un schéma basique : (i) comment on produit de l'électricité, (ii) comment on assure la sécurité. Continuons avec la suite de l'épisode.
L'idée du méchant "Xana" (c'est une série pour enfants, les méchants sont binaires), c'est d'accumuler l'énergie électrique dans un poteau à côté du collège des protagonistes, pour la renvoyer vers la centrale nucléaire.
Note : les poteaux ne sont pas des batteries et ne peuvent pas physiquement stocker de l'électricité. Mais admettons : l'énergie renvoyée vers la centrale ne ferait que exploser le transformateur, générant un grand incendie... sans conséquence sur la sûreté nucléaire.
Vous avez vu où se situe le transformateur (en bleu) ? Vous voyez où se situe les systèmes importants pour la sûreté (en jaune) ?
C'est là où on voit un premier aspect de la sûreté : bien concevoir ses installations. En effet, les transformateurs électriques peuvent être sujets à des incendies, explosions, etc. Du coup, on les met pas à côté des systèmes importants pour la sûreté nucléaire ! Mais en fait, la sûreté c’est quoi ?
Pour répondre à la question, je vous renvoie vers la définition du Code de l’environnement, Article L591-1. En voici une partie :
« La sûreté nucléaire est l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets. »
Concrètement, la sûreté, c’est ce qui est fait pour prévenir les accidents et limiter les effets. Sur nos réacteurs en activité, on considère trois fonctions de sûreté (si ces trois fonctions sont assurées, alors la sûreté est assurée) :
Pour s’assurer du fonctionnement de ces fonctions, on utilise une démarche de défense en profondeur. Selon l’IRSN, la défense en profondeur a 5 niveaux, que l'on va présenter et détailler.
Le niveau 1 est la prévention des anomalies de fonctionnement et des défaillances des systèmes. Cela consiste à bien concevoir sa centrale afin d’éviter l’apparition des problèmes. Ça passe entre autre par plusieurs choix de conception et d'organisation :
Le niveau 2 est la détection des défaillances et maîtrise des anomalies de fonctionnement. Ce niveau est décomposé en (i) la détection et (ii) la maîtrise.
La détection des incidents se fait via :
La maîtrise des incidents se fait via :
Le niveau 3 est la maîtrise des accidents. Autrement dit, si l’accident arrive, il nous faut avoir les moyens pour le gérer. Dans la majorité des cas, maîtriser l'accident veut dire restaurer les fonctions de sûreté.
Note : Dans les schémas qui vont suivre, (i) un rond avec triangle désigne une pompe, (ii) un puisard désigne un collecteur d'eau.
Pour restaurer les fonctions de sûreté, on va utiliser 3 systèmes de sauvegarde. Chaque système est redondant (deux pompes et chacune pouvant assurer 100% de la fonction). Pour les expliquer, je vais me baser sur l'image de l'IRSN (Source: Didier Jacquemain / IRSN) :
On va commencer par RIS. RIS, c'est l'injection de sûreté. L'idée, c'est d'injecter des volumes d'eau très concentrée en bore. L'eau borée est "neutrophage", elle empêche les réactions de fission. Objectif : restaurer la fonction "maîtrise de la réactivité".
Première phase du RIS : injection haute pression. Cette injection se fait via le système RCV, ceci permet d'injecter à 175 bar dans le circuit primaire (à 155 bar) pour arrêter immédiatement toute réaction nucléaire. (Circuit RCV déjà abordé dans ce thread)
Deuxième phase : injection basse pression (à gauche) qui permet, si rupture du circuit primaire en gris, à l'eau du circuit primaire d'aller dans les puisards, d'être collectée, et d'être renvoyée dans le cœur pour avoir un apport continu d'eau borée.
On continue en mentionnant ASG. Ce circuit permet de refroidir le circuit primaire via les générateurs de vapeur (GV). Ce circuit, représenté de manière succincte dans l'image, sert à alimenter les GV en eau côtée secondaire.
Dans le cas où les pompes primaires ne fonctionnent plus la réaction nucléaire est arrêtée, l'énergie restante est évacuée par convection naturelle de l'eau primaire entre les GV et le coeur. L'eau ASG s'évapore et est rejetée à l'atmosphère (elle n'est pas radioactive).
Le système ASG permet de restaurer la fonction refroidissement. Il y a trois ou quatre générateurs de vapeur. Si un défaille, il en reste deux/trois autres.
On termine avec le système EAS. Le système est composé d'une pompe, d'un échangeur (en jaune) et d'une couronne, en haut, à l'intérieur du bâtiment réacteur. Sur cette couronne se trouve des buses d'aspersion. Ces buses servent à créer une "pluie" dans le bâtiment réacteur.
Cette pluie sert en cas de brèche dans le circuit primaire. S'il y a une brèche dans le circuit primaire (pire accident pensé à la conception), la température et la pression dans le bâtiment réacteur (le bâtiment cylindrique) vont augmenter jusqu'à atteindre les 120°C et les 5 bar.
La pluie provoquée par le système EAS va permettre de "casser" la pression (aspersion d'eau froide dans une atmosphère humide et chaude) et va diminuer la température. Il y a aussi de la soude pour lutter contre le dihydrogène (qui est explosif).
On peut voir que la pompe est connectée au puisard, et qu'on passe par un échangeur. Après les phases initiales de l'accident, on fonctionne en recirculation : l'eau tombe en pluie, elle se collecte dans les puisards, elle est pompée, refroidie et retombe en pluie.
Le niveau 4 est la limitation des conséquences des accidents graves. Autrement dit, l’accident est en cours de maîtrise, mais il faut limiter au maximum les impacts et les rejets.
Ce niveau fait appel à des organisations de site, ainsi qu'aux dispositions dites "hors dimensionnement" créés après Three Miles Island (et renforcées après Fukushima). Je n'en parlerai pas plus car ça mériterait vraiment un thread dédié.
Il y a aussi, depuis Fukushima, la création de la Force d'Action Rapide du Nucléaire (FARN), un groupe interne EDF, constitué de salariés d'astreinte pour aider une centrale lors d'un accident. La FARN a du matériel dédié pour aider à la limitation des conséquences.
Le niveau 5 est la limitation des conséquences radiologiques en cas de rejets de substances radioactives. Ce dernier niveau est du ressort des pouvoirs publics, avec la décision (ou non) d’évacuer, de confiner les populations, de prendre de l'iode etc.
Je n'évoque pas plus ce niveau, car ça sera l'occasion de faire un thread dédié sur le sujet, avec l'opportunité d'évoquer en parallèle les mesures de protection de la population (ou non) de Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima.
Pour le faire rapidement, dans un cas d'incident nucléaire, l'Etat (via le préfet) en est immédiatement informé. L'intérieur de la centrale est du ressort d'EDF, l'extérieur est du ressort de l'Etat. Les deux sont en liaison via une organisation de crise pré-déterminée.
La sûreté nucléaire c'est pas juste une pompe par ci, du béton par là, un diesel en plus. C'est bien plus grand que ça. C'est un système large, redondant qui comporte un grand nombre de barrières, de choix, d'humains pour assurer la protection de tout un chacun. Le nucléaire est une des seules industrie qui oblige ce niveau de protection.
Le nucléaire est souvent sous le feux des projecteurs pour telle ou telle défaillance. Vu les niveaux de défense, une défaillance n'est pas synonyme d'accident nucléaire.
Être sous les feux des projecteurs nous oblige à être rigoureux et transparent (c'est bien) mais ça nous rend aussi vulnérables à la vindicte populaire en cas d'instrumentalisation par certains partis/personnalités/associations pour des raisons électorales/financières.
Ceci clôt cet article. Merci pour votre lecture !
Ceci est l'archive de mon thread Twitter, faite par l'archiveur de threads de Share.
Synfission
Amateur de sciences et apprenti vulgarisateur sur les énergies.