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Le biais de probability matching, stratégie optimale pour survivre


Publié
August 18, 2020

D️ans cet article d'économie comportementale, je vais vous parler du biais de probability matching. A priori, ce biais semble une simple défaillance de notre cerveau. En réalité, c'est une stratégie optimale pour survivre dans un environnement incertain.

Le biais de probability matching

Dans un article célèbre de 1951, les psychologues Grant, Hake et Horneseth proposent aux participants un jeu très simple :

  • Des lettres A et B apparaissent sur un écran.
  • La lettre A apparaît dans 80% des cas, la lettre B dans 20%, et les participants ne connaissent pas cette fréquence.
  • Les participants doivent deviner, à chaque fois, quelle lettre a le plus de chance d'apparaître. Si ils prédisent la bonne lettre, ils gagnent 1$, sinon, ils perdent 1$ de leur cagnotte de départ.

Les participants jouent au jeu de façon répétée un certain nombre de fois, ce qui leur permet de rapidement se rendre compte que A est bien plus fréquent que B.

D'un point de vue rationnel/bayésien, la stratégie optimale de ce jeu consiste à toujours prédire que la lettre A va apparaître : cela donne 80% de chance de gagner. C'est ce que les chercheurs attendaient comme réponse des participants, qu'ils prédisent toujours A après quelques séances.

En réalité, le comportement des gens fut très différent : la plupart jouèrent A dans 80% des cas et B dans 20% des cas. Ils parièrent sur chaque état possible selon sa fréquence empirique. C'est ce que les scientifiques appellent du probability matching : les gens "match" les probabilités d'apparition de chaque symbole.

Bien entendu, cette stratégie de probability matching est sous optimale : elle gagne moins souvent que jouer tout le temps A (je vous laisse faire le calcul sur une feuille de papier si vous voulez comparer l'espérance de gain des deux stratégies).

Pour cette raison de sous optimalité de la stratégie de probability matching, les chercheurs parlent de biais cognitif pour la décrire : notre cerveau serait "biaisé" et incapable de reconnaître la bonne stratégie qui consiste à jouer tout le temps A.

Ce biais a des conséquences importantes : il montre que les gens ne comprennent pas les règles de base des probabilités et prennent des mauvaises décisions. En finance une personne soumise à ce biais aurait ainsi tendance à louper des opportunités et être trop prudente.

Mais ce biais n'en est peut être pas un ! Pour un biologiste évolutionniste, le probability matching est en réalité une stratégie optimale qui permet de survivre dans un environnement incertain. Il est donc normal que nos cerveaux en aient hérités.

Une stratégie optimale pour survivre

À travers un petit exemple simple, essayons de montrer en quoi ce biais nous donne une stratégie optimale pour survivre en environnement incertain (sans les calculs mathématiques) :

  • Supposons qu'une population soit en présence de deux états du monde possible : un état A (soleil) et un état B (pluie), avec une probabilité de survenance de l'état A de 80% à chaque période.
  • Les individus ont le choix entre adopter soit un comportement a soit un comportement b.
  • Si les individus adoptent le bon comportement (a si l'etat A se produit, b si l'état B se produit), ils survivent et leurs enfants héritent de leur stratégie, sinon ils meurent et ne peuvent pas se reproduire.

Regardons ce qui se passe si dans la population chaque tiers décide d'adopter une stratégie différente.

  • 1/3 décide de toujours adopter le comportement a.
  • 1/3 décide de toujours adopter le comportement b.
  • Les autres jouent a avec 80% de chance et b avec 20% de chance.

À chaque période, un état de la nature est décidé aléatoire (80% A / 20% B) et les individus qui ont adopté le bon comportement survivent et se reproduisent à l'identique pour la période suivante (leurs enfants ont donc la même stratégie qu'eux).

Au début du jeu, les individus qui jouent tout le temps B sont les premiers à disparaitre : dès la première apparition de l'état A, ils sont tous morts car ils n'ont pas la bonne stratégie.

Mais les individus qui jouent tout le temps A n'ont pas beaucoup plus de chance de survie : même si l'état A est plus probable, il va bien y avoir un moment où l'état B va arriver. Alors tous les individus de ce type vont disparaitre.

A l'inverse, les individus qui jouent aléatoirement a avec 80% de chance et b avec 20% de chance sont ceux qui ont l'espérance de survie la plus forte. À terme, il ne reste plus que des individus qui adoptent cette stratégie de probability matching !

Bien entendu, ici, j'ai un peu simplifié le modèle et le raisonnement par rapport au vrai model des articles scientifiques. Mais la conclusion reste la même : le probability matching est la meilleure stratégie possible pour survivre dans un environnement qui change !

C'est pourquoi l'évolution a sélectionné au fil du temps cette technique, et c'est pourquoi la plupart des humains jouent ainsi au jeu de prédictions des A et B des psychologues. Leur comportement est loin d'être une erreur de nos cerveaux, mais au contraire une façon de procéder qui nous a permis de survivre pendant des millions d'années.

Instinctivement, nous utilisons cette heuristique ancestrale, même si elle n'est pas la stratégie la plus adaptée dans le cadre d'une expérience de psychologie de laboratoire ! Notre cerveau a été conçu et sélectionné pour la survie de l'individu dans son environnement sauvage qui a été le sien pendant des millions d'années. Pas pour répondre correctement a des problèmes simplistes en laboratoire. 😋

En fait, la plupart de ce qu'on appelle couramment des "biais cognitifs" n'en sont pas dès qu'on les replace dans un contexte évolutioniste. C'est un sujet qui est malheureusement encore largement méconnu/ignoré de la plupart des économistes.

On parlera sans doute des autres biais cognitifs dans un prochain article !



Ceci est l'archive de mon thread Twitter, faite par l'archiveur de threads de Share.


Pierre Jacquel

Doctorant en économie comportementale et en finance à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.