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Comment gérer la montagne de dettes dûe à la crise du Covid ?


David Cayla
Publié
Révisé
May 12, 2020
Il y a 3 années

Il est maintenant évident que la crise du Covid sera aussi une crise économique et financière.

Les économies sont à l'arrêt. Du coup, les États prennent le relais en dépensant sans compter. Mais comment gérer cette montagne de dettes une fois la crise passée ?

Des dettes potentiellement insoutenables

Tout d'abord, les dettes vont être énormes tant pour les États que pour les entreprises.

La soutenabilité d'une dette dépend du revenu annuel de l'entreprise ou du PIB pour la dette publique. Or, non seulement les dettes vont augmenter, mais les revenus vont également baisser.

Comme l'économie était déjà très endettée avant la crise, il est probable que lorsque l'économie repartira, une grande partie de cette dette s'avèrera insoutenable. De nombreuses entreprises risquent donc de faire faillite et de nombreux États seront incapables de faire face.

Plusieurs solutions évoquées

Plusieurs solutions ont été évoquées pour éviter des dettes insoutenables.

1/ Certains, comme le gouverneur de la banque de France, préparent déjà les esprits à une cure d'austérité drastique qui surviendrait une fois la crise sanitaire derrière nous (en savoir plus).

2/ D'autres, au contraire, comme Jezabel Couppey-Soubeyran ou Aurore Lalucq, militent pour pratiquer la monnaie hélicoptère, c'est-à-dire créer de la monnaie directement au profit de l'Etat d'abord, puis des entreprises et des ménages au moment de la sortie de confinement (en savoir plus).

3/ Pour Arnaud Montebourg, il faut annuler les dettes publiques pour éviter une politique de rigueur infinie qui serait socialement et économiquement désastreuse (en savoir plus). Même idée chez Jean-Luc Melenchon qui propose plus subtilement que la BCE rachète des obligations publiques perpétuelles à taux négatifs (en savoir plus).

Quelle solution choisir ?

Alors, au final, que faire ?

Pour le comprendre, il faut commencer par penser ce qui pourrait arriver si on ne fait rien.

Les faillites vont se multiplier, les banques et les créanciers vont subir des pertes énormes et le monde sera face à une crise bancaire systémique.

Or, les banques contrôlent les moyens de paiement et gèrent l'épargne des ménages. L'effondrement du système bancaire risque donc d’entrainer la disparition de l'épargne et des moyens de paiement. En somme, la disparition de la monnaie.

La garantie publique des dépôts à 100.000 euros qui existe aujourd'hui n'est pas crédible. Les États n'auront de toute façon pas les moyens financiers de sauver l'épargne.

Selon toute probabilité, il faudrait reconstruire à zéro le système bancaire et monétaire.

Mais cette catastrophe n'arrivera pas car, justement, on ne va pas rien faire.

Analysons maintenant les solutions évoquées.

Une cure d'austérité drastique ?

L'austérité perpétuelle sera impraticable. On a vu pour la Grèce que la méthode avait eu pour seul résultat de faire plonger l'économie.

D'ailleurs suite à l'étude de ce qu'il s'est passé en Grèce, le FMI estime désormais que le multiplicateur keynésien est supérieur à 1: toute réduction des déficits publics de 1% fait baisser le PIB de plus de 1%. Autrement dit, l'austérité dégrade la solvabilité des économies.

De la monnaie hélicoptère ?

La monnaie hélicoptère ou l'usage exclusif de la création monétaire me paraît peu pertinente.

Certes, aider les acteurs économiques en sortie de crise peut être utile pour faire redémarrer la machine économique. La hausse de la demande des ménages ferait augmenter la production. Mais deux problèmes se posent :

1/ Les auteures ne précisent pas quel serait le mécanisme mis en œuvre par la BCE pour créer de la monnaie. Dans le fonctionnement actuel, la banque centrale ne crée pas directement de monnaie, elle ne fait que racheter des titres de dette. La monnaie est créée dans le cadre du crédit bancaire classique. Il faudrait donc revoir en profondeur les statuts et le fonctionnement de la BCE ce qui suppose de réécrire les traités.

2/ Je suis également réservé sur l'argent hélicoptère distribué aux agents privés. Il n'est pas sûr que cela suffise pour faire revivre les entreprises qui ont fait faillite pendant le confinement. Si l'idée est de faire augmenter la demande, cette dernière risque de se heurter à une offre rigide faisant augmenter les prix. Enfin, comment être sûr que l'argent distribué aux entreprises ne va pas nourrir des délocalisations ou servir à mieux rémunérer les actionnaires? L'idée mériterait au minimum des gardes-fou.

Plus fondamentalement, distribuer de l'argent aux entreprises et aux ménages revient à faire confiance aux mécanismes du marché et à stimuler l'offre marchande. Or, je crois que, justement, la crise montre que nous avons besoin de davantage de production non marchande (santé, sécurité, éducation). Si la première partie de la proposition (soutien de la BCE aux États) me paraît en ce sens justifié, il me semble en revanche que toute aide aux ménages et aux entreprises devraient être débattue au Parlement. Aussi, je crois qu'il faudrait privilégier un mécanisme budgétaire à un soutien monétaire opéré par une autorité indépendante et non démocratiquement contrôlée telle que la BCE.

Un annulement des dettes publiques ?

Effacer la dette publique pour repartir sur de nouvelles bases ? Pas si simple. En effet, toute dette est aussi une créance détenue par les épargnants. Si l’État fait défaut, on ne fait que précipiter la crise bancaire citée plus haut. Et les ménages perdent leur épargne.

Reste la solution de Mélenchon. Sur le papier c'est sans doute la meilleure. Il s'agirait, en simplifiant, de faire de la monnaie hélicoptère pour l’État. Au lieu de donner de l'argent directement aux ménages, on sauve leur épargne en "monétisant" une grande partie de la dette publique.

L’État redevient solvable. Il aide les entreprises, retrouve des capacités à investir dans la santé et les services publics, recrute pour éviter le chômage et faire face aux importants besoins sociaux. Le secteur privé est protégé et nourri par les dépenses publiques.

Malheureusement, cette solution est contraire aux traités européens et aura beaucoup de mal à s'imposer auprès de nos partenaires de la zone euro. La BCE n'a tout simplement pas le mandat pour faire ça et le pouvoir politique ne peut pas l'exiger de sa part.

Il est pourquoi pas toujours possible d'obtenir un accord diplomatique, une révolution européenne, une réécriture en urgence des traités et de mettre cette solution à l’œuvre. Après tout, la BCE a déjà considérablement élargi son mandat sans rien demander à personne... Mais honnêtement, c'est tout de même peu probable.

La solution la plus probable

Bon, alors au final, que reste-t-il comme solution?

Si je devais parier, je dirais que la solution la plus probable sera sans doute celle d'un impôt forfaitaire sur l'épargne. On taxe 10 à 20% tous les comptes bancaires pour revenir à un endettement public solvable. C'est techniquement et juridiquement possible puisque l'Italie l'a déjà fait. C'est aussi la solution trouvée en 2013 pour résoudre la crise chypriote (ma tribune à ce sujet).

L'avantage d'une taxe sur l'épargne c'est qu'elle est contrôlable. On pourra préserver certains ménages ou entreprises, introduire une progressivité.

La difficulté est qu'elle nécessitera sans doute une mise en œuvre harmonisée à l'échelle européenne ou un strict contrôle des mouvements de capitaux pour éviter que l'épargne ne fuit juste avant la taxation. Le FMI avait étudié la possibilité d'une telle taxe en 2013 (en savoirs plus).

Au final, c'est la solution la plus simple à mettre en œuvre. C'est la raison pour laquelle je pense que c'est sans doute ce qui va arriver.



NB

Je n'ai pas parlé de la question de l'inflation parce que ce sujet me rend perplexe.

L'inflation résout de fait les montagnes de dette et aide les emprunteurs à redevenir solvables. Mais ce n'est pas un outil qu'on maitrise. Il n'y a pas de bouton pour relancer l'inflation, tout comme il n'y a pas de bouton pour l'arrêter. Néanmoins, il est toujours possible qu'elle revienne à la faveur de cette crise, surtout si la production ne repart pas.

Je ne sais pas du tout ce qui pourrait se passer alors.



Ceci est l'archivage de mon post Facebook.


David Cayla

Enseignant-chercheur en économie, Université d'Angers.