J'aurais aimé croire en Raoult

J'aurais aimé qu'un génie brillant à la Jeff Goldblum dans Jurassic Park découvre LE médicament miracle, j'aurais adoré qu'allant vite, très vite, Raoult grille les étapes avec brio et démontre son hypothèse devant un monde médusé, et sauve des millions de vies.

Je n'ai aucun lien avec Big Pharma, je les ai combattu pendant des années. Des médicaments dont vous ignorez peut-être l'histoire, les magouilles, les fraudes qui les ont entouré : Vioxx, Staltor, etc...

Mais dès le départ, depuis la première vidéo "Coronavirus fin de partie", j'ai tiqué sur l'affirmation de la facilité d'utilisation et de l'absence de toxicité de la chloroquine (Nivaquine). Car c'est juste totalement faux. Ce que d'emblée des urgentistes comme Julie Oudet, des cardiologues comme Florian Zores, et de vieux médecins de terrain qui ont passé leur vie à lire Prescrire et à soigner des patients en pestant sur les manoeuvres de Big Pharma, ont rappelé.

Le lendemain Raoult a enfoncé le clou : toute personne qui connaissait les bienfaits de la chloroquine devait, je le cite "se jeter dessus". Réalisant qu'il allait se faire rattraper par les faits, parce que malgré la sidération des diverses instances devant ce grand bluff, Raoult réalisait que la chloroquine posait problème, il a switché sciemment pour l'hydroxychloroquine (Plaquenil), moins toxique, et que les gens ne possèdent pas dans leur pharmacie.

Les urgentistes et réanimateurs avaient été les premiers à mettre en garde sur les risques d'accident avec ce medicament qui traine dans les pharmacies familiales après un voyage en Afrique (ce qui est arrivé depuis). Et dans une nouvelle video, il se moquait de ses détracteurs en vantant l'hydroxychloroquine et en faisant comme si il n'avait jamais parlé de la chloroquine. Ce jour-là, avec un certain effroi, j'ai su à qui nous avions affaire.

Le buzz s'est amplifié. D'article bidon en résultat foireux. Oui, je sais. Je suis juste médecine généraliste. Je ne fais pas les couvertures du Point avec Idriss Aberkane, je n'écris pas dans le Point avec Gabriel Matzneff. Je suis "juste" généraliste. Mes amis sont "juste" cardiologues, urgentistes, réanimateurs. "Juste" des gens qui sauvent des vies dans la vraie vie.

Alors qu'El Professore Lé Plous Magnifico del Mondé étalait devant des journalistes totalement incultes des CVs longs comme le bras, des publications par milliers sur les germes et les virus..., en expliquant qu'il n'était juste pas dans la même ligue que ces petits minables, en omettant de préciser qu'il n'avait jamais fait d'essais cliniques sur un médicament et ne respectait aucune des règles de sécurité de base d'une étude, ce qui lui permit de lancer une étude illégale et mal foutue, d'inclure des enfants dans une étude, de frauder en faisant disparaitre un patient décédé lors de son "étude", ce qui aurait plombé ses résultats.

Pendant que bouche bée, et paralysées par l'audace de Raoult, et tétanisées par leur propre incapacité à gérer la crise (masques, protection, municipales, etc), les instances sanitaires et politiques transpiraient tandis que lui amassait ses followers avides de le croire.

Des followers qui n'avaient pas saisi qu'il ne soignait pas de patients. Je répète : IL NE SOIGNAIT PAS DE PATIENTS. Et que sa compréhension des essais cliniques était inférieure à celle d'un étudiant moyennement doué en milieu d'études.

Et donc une course de vitesse se met en place. Les détracteurs, effarés, qui essaient de décrypter les publis et les vidéo Youpor... sorry YouTube de Raoult n'en croient pas leurs yeux...

Les agences sanitaires, fouillant leur ampoule rectale pour essayer d'y retrouver leurs couilles (parce que Raoult enfonce les portes du Yolo H24) et jugeant prudentes de ne rien faire malgré des violations évidentes des règles et le gouvernement trop occupé à se mettre en scène pour recouvrir ses traces après avoir méprisé les soignants pendant des décennies et avec un directeur général de la santé coresponsable de l'absence de masques (qui coûtent un pognon de dingue sans doute).

Pendant ce temps, Raoult se fait un nom et flirte ouvertement avec tous ceux qui, totalement ignares en médecine (ce qui n'est pas une tare), accrochent à son image de Gaulois réfractaire ne se souciant pas des codes. Il est idolâtré par pas mal de monde sur le forum JeuxVidéos 18/25, et par Alain Soral et son orchestre sur Egalité et Réconciliation: Raoult est le génie français, seul face à l'hydre cosmopolite des labos qui empoisonnent le Gaulois avec ses vaccins, etc etc.

La stupidité de journalistes "scientifiques" et de chaînes d'info attirées par le buzz frénétique du Druide Megalomanix a raison peu à peu des détracteurs, dont les alertes ne passent peu ou mal hors des réseaux sociaux. Chaque couverture assied Raoult comme LE SAUVEUR...

Même lorsque le titre laisse planer le doute. Mettrait-on un escroc en couverture de Libération ? Surtout quand il est photographié en Gandalf le Blanc ???

Et surtout, Raoult n'est pas seul. Son buzz, amplifié par les medias, attire l'oeil du Best of The Best, du Huuuuge, Biggest Brains of Them All, Beaaaaauuutiful ... Donald "Shit for Brains" Trump.

En France, après une pléthore de stars locales comme Estrosi et Valérie "on n'a pas le temps de faire d'études" Boyer, affluent les Cantona, Onfray, Zemmour, BHL, Laurent Alexandre, Benalla, Son Forget, Giesbert. Chacun soutient le génie, chacun participe de l'arnaque.

Raoult fonce en klaxonnant dans le mur, profitant de l'inquiétude et de la crédulité des gens apeurés qui voient en lui un type hypercourageux qui a trouvé LA solution et fait front à la stupidité administrative criminelle d'un gouvernement incompétent. Il attire les foules.

A l'étranger, les scientifiques décryptent ses articles, ses abstracts, les torchons qu'il publie, et n'en croient pas leurs yeux : il n'y a rien de probant, des approximations. Comme il n'y avait rien dans le papier chinois qu'il avait exhibé au départ : pas une donnée chiffrée.

Mais en France, la presse a édifié Raoult en probable génie. Le public y croit, VEUT y croire. "La chloroquine, ma tante en a pris cinq ans" "Si c'était mortel, ca se saurait" "Les labos veulent nous vendre un truc très cher et vous êtes dans la combine"

L'énergie nécessaire à tenter d'expliquer est énorme, et c'est une perte sèche pour des médecins qui, par ailleurs, ont quand même UN PEU DE TAFF en ce moment, et ça dérape surtout quand les trolls en face sortent en masse.

Et des explications simples ne sont pas entendues.

• Oui, la chloroquine existe depuis des années.
• Oui, elle est utilisée largement.
• Mais dans une autre indication, la prévention du paludisme.
• Et à une dose beaucoup plus faible.
• Et à forte dose, elle provoque des arrêts cardiaques.
• Et elle n'a jamais fait preuve d'efficacité contre un virus.
• Ni celui-ci, ni un autre.
• Et de même pour l'hydroxychloroquine.
• C'est même plutôt le contraire.

En fait ce que disent patiemment les tenants de la méthode scientifique est très contre-intuitif, quasiment inaudible, parce qu'ils disent à des gens inquiets et déboussolés, qui ont mis leur foi et leur espoir dans UN HOMME, que dès le départ dans ses affirmations, Il n'y a rien qui aille.

Alors certains s'énervent et engueulent ceux qui, pour la trouze millième fois, viennent répéter les mêmes éléments de langage des forums pro-Raoult sans prendre la peine d'écouter la réponse, et d'autres se font pourrir par des trolls et des semicrétins.

Le délire atteint son comble quand sort du bois Philippe Douste Blazy, l'oncle louche à mèche, qui est aussitôt applaudi comme un héros par des gens qui ne connaissent ni ses liens financiers de longue date avec Servier (Mediator), ni sa défense du Vioxx, qui fit des milliers de morts.

Sa pétition, les soutiens qu'il agrège autour de lui comme le Professeur Péronne, qui soigne la maladie de Lyme chronique avec son traitement miracle, asseyent un peu plus la légitimité de Raoult.

Et pour couronner le tout, parmi les médecins, certains veulent prescrire de l'hydroxychloroquine et de l'azythromycine, le nouveau protocole Raoult (qui a abandonné la chloroquine médicament miracle et "fin de partie" chez les Chinois qu'il dit conseiller de longue date).

Sur certains forums médicaux, les arguments fusent. Le plus récurrent est le très ancien appel à l'intuition médicale, à la "liberté de prescription" : assez de se faire chier avec des protocoles et des agences, notre diplôme nous donne le droit de prescrire, point barre.

D'autres soutiennent Raoult parce qu'ils se fantasment superintelligents, surdoués, neuroatypiques, bref géniaux, et se reconnaissent dans la personnalité de Raoult. Il a sûrement raison contre tous, comme eux. Alors que franchement, sans la ramener, moi qui suis superintelligent, surdoué, neuroatypique, bref génial, j'y crois pas une seconde depuis le début. C'est donc bien une preuve (de même niveau).

D'autres enfin ont juste, et c'est assez déroutant... une méconnaissance absolue de la méthode scientifique, qui n'est pas juste un amas de contraintes destinées à emmerder et ralentir la science, mais des règles édifiées pour protéger les patients tout en avançant la recherche.

Or, le souci c'est que l'hydroxychloroquine (utilisée dans des maladies rhumatismales essentiellement) et l'azithromycine (un antibiotique) ont tous les deux UN effet indésirable commun : ils modifient la conduction de l'électricité dans le coeur et peuvent chacun causer des troubles du rythme cardiaque pouvant entraîner des arrêts cardiaques...

Alors, comprenez-moi bien, les tester scientifiquement dans une étude bien menée, pourquoi pas, mais associer deux médicaments qui, ensemble, sont contre-indiqués du fait du risque de causer des arrêts cardiaques, sans aucune preuve jusqu'à présent de leur efficacité dans une pathologie nouvelle, c'est UN PEU risqué.

La magie ça ne compte pas, l"urgence" pour faire n'importe quoi non plus. Quand c'est urgent, il faut prendre son temps. Prendre le temps de faire les choses de la manière la plus réglo, la plus carrée possible. C'est ce qu'apprennent tous les professionnels de l'urgence.

Prendre son temps, ça ne signifie pas passer des mois en réunions avec les agences, pinailler sur chaque virgule, mais faire des études rigoureuses, comme en font en ce moment, avec plein de médicaments anciens/nouveaux, des chercheurs, travailleurs humbles et méticuleux, qui ne font pas le 20 heure ni les gros titres de CNN, mais qui éliminent des molécules inutiles.

Et d'ailleurs en France comme à l'étranger, l'hydroxychloroquine et l'azithromycine sont testées. Et en général les informations qui remontent sont... très mauvaises. Les services abandonnent ces médocs parce que l'efficacité n'est pas au rendez-vous et qu'ils remplissent leurs lits de réa avec... des troubles cardiaques graves.

Nous sommes donc aujourd'hui à un tournant. Raoult pond toujours des études pourries sans groupe contrôle au prétexte de sauver tout le monde, sans rien prouver sauf pour ses adeptes, et ça commence à se voir.

Il a fait perdre un temps précieux à la recherche, aux médecins, qui doivent parfois confronter des familles terrifiées qui ne comprennent pas qu'on essaie pas de sauver leurs proches en leur filant... un cocktail potentiellement toxique sans efficacité prouvée.

Les trolls agressent quotidiennement des médecins qui essaient de soigner des patients, de sauver des vies, amenant certains d'entre eux à quitter les réseaux sociaux, sans que ca défrise une seconde Ze Genius, Pr Melon de Cavaillon.

Discrètement, des chercheurs qui ont connu et côtoyé Raoult tentent de lui faire entendre raison, de lui demander d'aterrir en douceur, pour lui, pour la recherche française qui est ridiculisée, mais c'est peine perdue.

Mais il ne peut plus reculer, il est allé trop loin. Il est comme un addict qui a passé sa nuit à jouer au casino, et à perdre, mais qui espère toujours un retournement de situation.

Alors avant le crash final, qui ne saurait tarder (mais ne nous inquiétons pas pour Didier, il aura toujours des adeptes, Staline est toujours hype de nos jours, et il reste encore des #LREM).

La question se pose. Comment en est-on arrivé là? A ce stade ultime de déliquescence... Parce que cet homme a un passé, une position sociale. Alors certes la gestion de son Institut est scrutée, de vieilles affaires de harcèlement courent, les étudiantes marseillaises chantaient en 2017 à son propos "Il pleut de la merde sur la Timone".

Vous avez peut-être passé rapidement la vidéo précédente. Je vous demande de prendre le temps d'écouter toute la chanson, chantée par ces jeunes étudiantes, en 2017, bien avant cette affaire, sans lien avec elle. Écoutez ce qu'elles disent (Un ange passe).

Alors je vais poser ici deux chroniques de Didier Raoult dans Le Point ces dernières années. Celle-ci, d'abord, pour vanter les mérites de l'immense Douste-Blazy et ses casseroles à la Direction de l'OMS.

Précisons, pour ceux qui hurlent au copinage avec les labos et vantent la pureté virginale de Raoult et ses affidés, que Douste-Blazy a bien caché au début sa présence au Conseil d'Administration de l'Institut de Raoult. Le copinage c'est juste pour les salauds de Parisiens.

Rappelons que tout médecin qui s'exprime dans les média doit théoriquement déclarer ses liens d'intérêt. Mais très peu le font. Disons que Douste-Blazy et Raoult sont aussi peu transparents que la majorité, hélas, de leurs collègues, et pas des saints.

Seconde chronique, à mon sens beaucoup plus perturbante, qui devrait bien plaire à ses fans masculinistes. Un extrait :

En elles mêmes ces chroniques ne viennent qu'étayer des enquêtes fournies comme celle de Mediapart qui, sans fournir d'explication finale, peuvent laisser entrevoir le pourquoi d'une dérive.

Je n'ai pas d'explication à cette fuite en avant aberrante, qui s'apparente à une forme de contamination, comme si la pensée magique nourrie par le buzz avait infecté la France et abattu toute réserve dans un pays où la modification d'un excipient dans la formule du levothyrox a entraîné des désagréments réels pour certains patients (en modifiant la biodisponibilité du médicament) mais surtout un "scandale" sanitaire en mode "Taubira démission".

Mais un peu comme dans "La lettre volée" d'Edgar Allan Poe ou dans "Usual suspects", il m'a semblé dès le 24 mars en lisant le portrait de Didier Raoult par Quentin Girard dans Libération que la solution était sous notre nez.

On dit souvent en médecine que le patient donne la diagnostic au patient qui sait écouter (dans le cas présent: lire). Je pense aussi, sans être freudien ni lacanien, que les gens ne maîtrisent absolument pas leur inconscient.

Didier Raoult a tout fait pour ne pas être seul, quel qu'en soit le prix à payer à terme pour sa crédibilité, pour la recherche médicale française, pour la lutte contre la Covid19... Et on en pensera ce qu'on veut. Mais il a réussi.