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Dans les 2 précédentes vidéos (vidéo 1 et vidéo 2), on a dit grosso modo 2 choses sur le pétrole.
Premièrement, il est impossible de prédire le prix futur du prétrole en regardant l'historique des prix passés. Le scénario qui stipule que le pétrole, de plus en plus rare, deviendra graduellement de plus en plus cher est complètement faux. Les entreprises ne peuvent se projeter et ne sont pas poussées à inventer petit à petit des alternatives.
Deuxièmement, les mécanismes à la base des fluctuations de prix sont tellement complexes que la valeur de l'or noir peut tout à fait ne jamais atteindre de sommets, même si la ressource s'épuise inexorablement (si cela te parait étrange, je te laisse retourner voir la vidéo).
Dans cet article, on va parler d'un autre problème qui risque bien de mettre fin au pétrole en tant que source d'énergie avant même que les ressources ne s'épuisent.
Le pétrole, le gaz et le charbon sont les principales sources d'énergie qui font tourner nos économies. Le problème, c'est qu'on a aussi besoin d'énergie pour aller chercher le pétrole, le gaz et le charbon. Autrement dit, une partie de l'énergie prélevée de l'environnement doit être mise de côté pour aller chercher l'énergie dont on aura besoin au tour d'après.
La grande question est alors : combien d'énergie faut-il réinvestir ? Parce qu'il faut bien alimenter en énergie les foreuses, les pompes, les pétroliers, les pipelines et les raffineries. On parle alors de Taux de Retour Energétique (ou TRE), c'est-à-dire, pour un baril investi dans l'industrie pétrolière, le nombre de barils qu'on récupère pour faire tourner le reste de l'économie.
Ce taux de retour énergétique va nécessairement finir par diminuer. Plus le pétrole est enfoui profondément, plus l'investissement énergétique pour aller le chercher est important et donc moins il reste d'énergie pour faire tourner le reste de l'économie.
— Peut-être que le coût énergétique de chercher le pétrole toujours plus profondément pourra être compensé par un progrès technique ?
Partiellement. Le progrès technique pourra réduire la quantité d'énergie gaspillée par l'inefficacité des techniques actuelles, mais ne pourra jamais réduire totalement les coûts énergétiques parce que les lois de la physique nous disent qu'il y aura toujours une quantité d'énergie minimale à fournir pour récupérer le pétrole.
Or, à partir d'une certaine profondeur, l'énergie minimale pour le récupérer deviendra supérieure à l'énergie du pétrole récupéré. Donc le TRE du pétrole est voué à diminuer et devenir nul un jour ou l'autre, quoi qu'il arrive.
La question maintenant, c'est : quand va-t-on atteindre cette profondeur limite ? Si ça se trouve, il nous reste encore plein de belles années devant nous avant que le TRE du pétrole diminue ?
Et bien, il semblerait que non...
Avant d'aller plus loin, il faut savoir qu'un TRE est complexe à calculer. Est-ce qu'on compte l'énergie nécessaire à la fabrication de toutes ces installations et machines ? Est-ce qu'il ne faudrait pas aussi inclure l'énergie utilisée par les gens qui travaillent dans la filière également ? Comment va-t-on recueillir les données pour calculer le TRE ?... Tout ça pour dire que les méthodes de calcul ne peuvent être qu'approximatives.
Cela dit, les chercheurs semblent plutôt d'accord entre eux pour dire que le TRE diminue. Le graphe ci-dessous montre le résultat du calcul effectué sur les TREs de la filière pétrole et gaz au niveau mondial :
Ce résultat montre que l'efficacité énergétique de la filière diminue, malgré les améliorations techniques. On est passé de 1 pour 30 avant les années 2000 à 1 pour 18 en 2009. Certains chercheurs estiment même que le TRE de la filière était de 1 pour 100 au début du XXe siècle.
Il semble qu'il faille investir de plus en plus d'énergie dans la filière pétrolière afin qu'elle nous fournisse de l'énergie. Cela est dû au fait que, malgré les améliorations techniques, on doive aller chercher le pétrole toujours plus profondément sous terre, mais ce n'est pas la seule raison.
Il faut aussi prendre en compte le fait que la quantité de pétrole conventionnel est de moins en moins suffisante pour combler les besoins énergétiques de la société, ce qui nécessite de plus en plus l'utilisation de pétroles non-conventionnels (les gisements de pétrole de schiste et les sables bitumineux) :
Ce graphique nous permet de voir que le niveau d'extraction du pétrole conventionnel stagne depuis 2004, tandis que ce sont les pétroles non conventionnels qui permettent à l'offre mondiale de continuer d'augmenter.
Le problème, c'est que les TREs de ces pétroles non-conventionnels sont bien plus faibles (1 pour 8 dans le cas du pétrole de schiste et 1 pour 4 dans le cas des sables bitumineux) :
De plus, le raffinage de ces pétroles est bien plus coûteux car les raffineries actuelles ne sont pas capables de les gérer et doivent être mises à niveau.
Enfin, le gaz de schiste ne peut pas être utilisé pour obtenir certains dérivés recherchés comme le kérosène, le gazole, le fioul domestique et le fioul lourd. Il doit être mélanger avec des pétroles lourds qui peuvent notamment être fournis par le Venezuela et le Canada.
Le pétrole ne semble plus une source d'énergie viable, pas tant parce qu'elle va s'épuiser, mais plutôt parce que son PRE va devenir trop faible. Cela permet de mettre en perspective une citation attribuée à l'ancien ministre du pétrole de l'Arabie Saoudite, Ahmed Yamani :
« L'âge de Pierre n'a pas pris fin à cause d'un manque de pierre, tout comme l'âge du pétrole ne prendra pas fin à cause d'un manque de pétrole. »
Si ce n'est pas la limitation des émissions de dioxyde de carbone ou le pic pétrolier qui nous imposent la réduction de l'utilisation du pétrole comme source d'énergie primaire, cela pourrait bien être un trop faible taux de retour énergétique.
Si le TRE du pétrole diminue petit à petit, peut-être cela aura-t-il des répercutions sur le prix du pétrole ?
C'est toujours la même réponse : c'est imprévisible.
L'activité économique mondiale est aujourd'hui largement basée sur des flux physiques de production et de transport de marchandises. Ainsi, la croissance économique, ou même simplement le maintien d'une certaine activité économique, dépend de l'accès à une source d'énergie primaire abondante et présentant un fort taux de retour énergétique.
Dans un monde qui resterait complètement dépendant du pétrole, une baisse du TRE de ce dernier signifie très certainement, à partir d'un certain niveau, une contrainte d'approvisionnement en énergie pour certains secteurs d'activité et donc une crise économique majeure.
Cela dit, à cause des boucles de rétroaction dont on a parlé dans l'épisode précédent, il est difficile de prédire quoi que ce soit sur le prix. Comment évolueront les aspects techniques, logistiques et politiques qui forment l'offre de pétrole ? Comment évoluera la demande ? Et surtout, comment les financiers vont interpréter ces données?
Tout ce qu'on peut anticiper, c'est que, si l'économie continue de dépendre du pétrole alors que les ressources s'épuisent, son prix devrait fluctuer avec une amplitude de plus en plus grande.
La raison est que, sur les marchés financiers, les prix sont le reflet des avis des investisseurs. Plus les incertitudes sur la valeur d'un actif sont grandes, plus son prix peut changer brutalement. Actuellement, il n'est pas évident de savoir si nous allons arriver à nous passer du pétrole, auquel cas il n'a plus de valeur, ou si nous n'allons pas y arriver et devrons l'utiliser jusqu'à la dernière goûte, auquel cas il en aura énormément.
Une société complexe et diversifiée comme la nôtre ne peut se maintenir que si le Taux de Retour Energétique (TRE) de l'énergie qu'elle utilise est faible, c'est-à-dire que si la population trouve le temps et dispose des infrastructures nécessaires pour s'intéresser à autre chose qu'à assurer le maintien de l'apport énergétique.
La question centrale est : quel est le taux de retour énergétique du pétrole et comment va-t-il évoluer ? La réponse est complexe, mais il semblerait que le TRE moyen, tous pétroles confondus et malgré les difficultés de calcul, ait une tendance baissière. L'âge du pétrole pourrait bien prendre fin, non pas à cause de son épuisement, mais à cause de la baisse de son rendement énergétique.
Toutefois, si cette diminution est inéluctable, son impact sur les prix, lui, demeure complètement imprévisible. Les scénarios de remplacement du pétrole ou de crise économique majeure liée à son manque sont tout à fait envisageables, ce qui rend les prédictions très incertaines.
Par contre, ce qui est peut-être plus prévisible, c'est que l'incertitude grandissante des marchés financiers vis-à-vis de l'avenir du pétrole va provoquer des changements de prix de plus en plus fréquents et de plus en plus violents.
Texte écrit par Lucas Willems
Heu?reka
J'explique la finance et l'économie avec beaucoup de schémas, de graphiques et d'animations pour rendre les explications plus intelligibles.